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La calanque de Sugiton

Face au surtourisme, la France entre dans l'ère des quotas

(1) << Réserver, c'est préserver. >> Le slogan, sur fond de mer bleu turquoise, s'affiche dans Marseille et aux abords de sa célèbre calanque de Sugiton, mais Nathan et Louis ne l'ont pas vu. En réservant des entrées pour la piste d'accès, les deux étudiants auraient pu atteindre la calanque facilement. Or, faute de ticket, ce n'est qu'en empruntant <<< des chemins de pirates à travers la garrigue¹) >> et au prix de quelques petites blessures qu'ils ont retrouvé la calanque de Sugiton.

(2) Depuis le début du mois d'août, l'accès à la sublime calanque est limité à 400 visiteurs par jour. Lors du dernier week-end de l'Ascension, un compteur en avait recensé 3000 dans cette minuscule calanque entourée de roches raides. C'est bien trop pour sa garrigue, son sol et ses pins, aux racines piétinées chaque année par davantage de touristes. Ces derniers temps, le sentier descendant se dégradait à l'œil nu, juge Nicolas Chardin, le directeur du parc national des calanques. Voilà le site soumis à un quota quotidien. Le mois dernier, l'accès aux îles Lavezzi en Corse a également été limité à quelques milliers de visiteurs par jour.

(3) Réserver gratuitement des sites naturels pour les protéger du surtourisme: ces mesures, qui font passer la protection de l'environnement avant la liberté de circulation, s'inscrivent dans un mouvement général tendant à réserver des activités culturelles, musées et monuments célèbres ou même une ville comme Venise. Pour Didier Réault, le président du parc national, un permis de visite pour voir une œuvre naturelle, c'est comme une réservation pour admirer une œuvre culturelle dans un musée. Nathan et Louis, eux, voient << des avantages et inconvénients >> dans la réservation de sites naturels. Au rang des premiers, la tranquillité du baigneur et l'absence de déchets. Mais << s'organiser à l'avance >>> risque de réduire à rien toute forme d'improvisation.

(4) Avant d'en arriver aux quotas, une délimitation des sentiers a été testée, souvent contournée. En été, la route d'accès à d'autres calanques est fermée aux véhicules. Ailleurs, les vélos sont interdits. Dans les débats du conseil d'administration, des associations écologistes plaidaient pour une fermeture complète. Le parc s'y est refusé. << La réservation, c'est l'outil presque ultime, le moins mauvais compromis », souligne Nicolas Chardin. << Ce n'est déjà pas dans la tradition des parcs français. >>>

(5) Après cette expérimentation, un bilan sera dressé. Faut-il élargir la période de réservation obligatoire ? L'instaurer dans les calanques voisines? Simon Jolivet, spécialiste du droit de l'environnement, estime qu'il faudra une proportionnalité entre la protection de l'environnement et celle des libertés. Selon lui, les pouvoirs publics ont tout intérêt à essayer d'abord autre chose pour réguler la fréquentation.

(6) C'est d'ailleurs la stratégie des Grands Sites de France, un réseau réunissant des espaces naturels touristiques aussi différents que le Mont-Saint-Michel ou les falaises d'Étretat en Normandie. Là, la limitation des parkings, une offre de randonnées alternatives, les schémas de circulation sont autant de solutions étudiées avant d'en arriver aux quotas. <<< Il reste en France l'idée très forte qu'un lieu naturel est ouvert et libre d'accès à tout le monde >>, insiste Soline Archambault, directrice du réseau. << On a plutôt envie de sensibiliser les visiteurs au fait que l'équilibre de ces sites est fragile, et qu'outre la répartition des flux, leur sauvegarde passe aussi par un changement des comportements. >>>