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Vincent Munier est photographe animalier, cinéaste et éditeur. Son livre La Panthère des neiges est un hommage à la beauté du monde. Entretien avec Le Point.

(1) Le Point: Quel rapport entretenez-vous avec la montagne ?

J'ai grandi dans la plaine des Vosges 5 et je me suis toujours intéressé à la montagne. À 10 ans, mon père m'emmenait déjà dormir sous les sapins pour observer un gros oiseau sauvage qui vit dans les forêts. On 10 passait des heures à attendre, sans parler. Depuis, je n'ai jamais cessé de faire des affûts. Je reste un éternel gamin. Je creuse, je construis des cabanes, pour observer ce qui 15 me nourrit: la beauté du sauvage. Depuis six ans, je me suis installé à 800 mètres d'altitude. Ce n'est pas très haut, mais on peut déjà y trouver une diversité de la faune et de la 20 flore.

(2) L'affût, qu'est-ce que c'est exactement ?

C'est une technique d'embuscade qui permet de guetter la bête. On se met 25 dans la peau de l'animal, on observe et on essaie de reproduire ses comportements. Mais c'est surtout un art de vivre. Lorsqu'on est à l'affût, on est concentré à chaque instant, 30 tous sens en éveil, prêt à accueillir ce que la nature voudra bien nous offrir. J'ai vraiment eu la chance d'être éduqué par mon père à repérer toutes les merveilles qui peuvent se 35 nicher près de nous.

(3) Pratiquer l'affût, c'est aussi reconnaître la vulnérabilité de notre espèce dans l'immensité d'un paysage.

40 Oui, il faut accepter de devenir une proie comme les autres. C'est quelque chose que l'homme moderne, qui se croit surpuissant, a beaucoup de mal à intégrer. Dans la 45 montagne, on ne peut plus tricher. Cela implique souvent d'être seul, de 50 ralentir, de se débarrasser de tous les repères que la vie en société nous donne... Je prends souvent l'exemple du philosophe américain John Muir, qui avait emmené le président Roosevelt à l'affût dans les montagnes. Je crois que c'est 55 d'ailleurs à partir de cette expérience qu'il avait décidé de mettre en place les grands parcs nationaux. Lorsque je pars en expédition, il m'arrive souvent de penser que ce serait utile d'emmener nos décideurs en pleine 60 montagne, pour faire face aux éléments ou se retrouver confronté à un ours. C'est une formidable école de l'humilité. Alors, qui est le maître du monde?

65 (4) Au fond, comme l'alpinisme, l'affût apprend à renoncer, s'il le faut, à l'objectif final...

C'est en effet l'un des grands apprentissages de la montagne. 70 L'affût oblige à tenir compte des conditions climatiques et des dangers potentiels. Les plateaux au Tibet sont situés en moyenne à 4 500 mètres d'altitude. Lorsqu'on a dormi 75 sous la tente, à 4800 mètres, le thermomètre indiquait jusqu'à -35°C. Il faut aussi gérer le mal d'altitude, qui ne s'efface qu'au bout de quelques semaines, lorsqu'il est 80 temps de redescendre... Et souvent, on ne croise pas les espèces qu'on avait prévu de voir. Je n'ai aperçu la panthère des neiges qu'au bout de mon quatrième voyage, par exemple. 85 Et puis un jour, je l'ai vue soudain, ses deux yeux braqués sur moi. Sensationnel!

(5) Les hauts plateaux tibétains sont très peu peuplés. N'est-il pas 90 plus difficile de rester discret lorsque vous photographiez sur les sommets français ?

La montagne subit une pression de plus en plus forte du tourisme. Je 95 suis stupéfait de voir à quel point on détruit les derniers bastions du sauvage au profit de bonheurs futiles et éphémères à pseudo-sensations. Est-il nécessaire de se promener sur 100 les sommets en trottinette électrique, de courir des trails de nuit ou de faire voler son drone au-dessus des sommets? Mon livre est une ode au 105 silence, à la beauté du monde, à la méditation.